Laura BEL
Paris 230°
19 mars – 2 mai 2020
Pensée dans le cadre de son projet Parcours empreintés, Laura Bel réalise une déambulation physique et visuelle à travers la petite ceinture parisienne, dont elle a plus précisément couvert le territoire à hauteur de 230 degrés sur les 360 que comptent une rotation complète.
Elle en rend compte à travers une série de photographies de petit format qui isole et répertorie plusieurs fragments de ces paysages, angles-morts périurbains, aussi périphériques à la ville qu’ils le sont à la vision. Tunnels, ponts et voies ferrées, terrains vagues ou squats, ils peuvent se rapporter à ce que Gilles Clément nomme des « tiers-lieux », des espaces abandonnés au sein d’un paysage urbanisé, comme laissés à leur sort, refuges des existences marginales, qu’il s’agisse de la nature sauvage ou de personnes migrantes.
Laura Bel est particulièrement attentive à des détails (une cabane juchée sur un arbre, un tag au sol, un panneau de signalisation, une plaque d’égout…) qui en troublent l’apparente neutralité ou qui trahissent la présence d’habitants clandestins. Dans cette zone de délimitation entre le tout-urbain et le semi-végétalisé, elle isole également les seuils et les frontières (un mur, un grillage, un portail) pour souligner l’ambivalence de ces barrières de protection qui sont aussi lieux de passage.
Pour Parcours empreintés, Laura Bel relève essentiellement les traces des passages effectués sur des aires frontalières, de nombreuses fois arpentées par elle comme par des inconnus. Chaque photographie est enfin associée aux coordonnées GPS du lieu pris en photo, comme pour mieux situer ces espaces concrets plus ou moins accessibles, qui se dérobent le plus souvent à la vue des riverains.
Cette série est placée en regard d’un travail de cartographie concrète sur un leporello, un livre accordéon sur les pages duquel Laura Bel a reproduit, par grattage, certaines surfaces qu’elle a pu rencontrer sur sa trajectoire. Formant une frise linéaire et continue à partir de ces empreintes relevées à même le sol ou sur des objets-fragments (panneau de signalisation, plaque d’égout…), elle lui permet de rendre compte des textures du territoire et de dresser en quelque sorte un portrait du paysage. Le choix de présenter le leporello à l’horizontale dessine en outre un relief denté qui illustre l’irrégularité des paysages arpentés tout en contrariant la planéité ordinaire de la carte.
Par ce dispositif, Laura Bel fabrique donc un plan en parfaite synchronicité avec le temps de sa marche, celui d’une observation patiente entrecoupée de ses regards spontanés. Revenant au premier sens de géographie, ce « dessin » ou « écriture » de la terre, aussi sensible qu’incarné(e), peut alors à sa mesure donner forme à l’utopie de Jorge Luis Borgès, celle d’une carte supposément impossible, dessinée à l’échelle même du territoire.
Florian Gaité
chercheur en philosophie (Sorbonne Paris 1-CNRS)
et critique d’art (AICA)